Dans la marmite de …. Théo Kieffer

Afin que les restaurateurs, étoilés ou pas, puissent sublimer de beaux produits, il est indispensable que des gens passionnés travaillent en amont. Rencontre avec l’un d’entre eux.…….

….. et pour compléter ce portrait, les chefs étoilés Olivier Nasti et Stephan Bernhard partagent avec nous l’une de leur recette .

Lorsqu’on arrive à Nordhouse, chez Théo Kieffer  » colombiculteur », les volières, nichées dans la verdure, autour d’une grange, où séchait autrefois le tabac, s’étendent à perte de vue. On est immédiatement frappé par la quiétude qui règne mais également par la propreté du lieu.

Le spectacle est impressionnant. Quelques 6000 pigeons, blancs ou multicolores, magnifiques, roucoulent paisiblement, sur fond de musique classique.

Un instant, on aurait presqu’envie d’arrêter le temps et de se laisser happer par la douceur du spectacle.

Le propriétaire des lieux ne dénote en rien dans ce décor bucolique,calme et détendu, malgré la charge importante de travail « il le faut, les pigeons sont farouches et n’aiment pas le stress. Ils s’affolent facilement, et énervés, ils peuvent même devenir agressifs entre eux. Il est important de les garder dans une ambiance paisible et sereine. » C’est donc d’une voix douce et posée, que Théo parle volontiers de son métier, une vraie passion plus qu’un simple travail.

Un métier comme un sacerdoce.

Pour Théo, depuis l’adolescence, il n’a jamais été question de faire autre chose de sa vie . «Mes parents m’ont regardé bizarrement, lorsqu’à 14 ans, je suis rentré à la maison avec mon premier couple de pigeons, acheté à Kraft chez un éleveur. 18 années plus tard, j’avais envahi toute la ferme familiale avec mes volières, jusqu’au grenier!»

A la conquête de l’Amérique

L’histoire n’a pourtant pas démarré très fort ! Le premier couple n’a jamais pondu et le suivant non plus, et pour cause «c’étaient deux mâles » Mais le jeune Théo ne se décourage pas. Il se documente comme il peut «il n’y avait pas encore Internet à l’époque, j’ai trouvé un seul livre sur les pigeons, et rien dans les manuels scolaires »

Après un BTS, au lycée agricole de Château-Thierry dans l’Aisne, il part se former aux États-Unis . Où, certes, on ne mange pas de pigeons, mais où on avait, déjà à l’époque, fait un travail remarquable de sélection des races. Pendant un an, il apprendra le métier dans différentes fermes, dans l’Iowa, l’Indiana, en Caroline du Sud, en Californie et à Washington.

Puis un jour arrive un courrier « j’étais tout content que quelqu’un m’écrive depuis la France!» La joie fut de courte durée «L’armée m’avait retrouvé, il a fallu rentrer faire mon service militaire!» Le soldat Kieffer ne sera cependant pas trop dépaysé. Non loin de la ferme familiale, à la base de Entzheim, il sera affecté auprès d’autres animaux, des abeilles servant à des observations météorologiques,  » cela arrangeait bien Météo France d’avoir un « stagiaire » qui puisse s’occuper des questions agricole pour pas trop cher « .

Une fois le service militaire terminé, Théo retourne aux Etats-Unis, pour en rapporter cette fois, en plus d’un savoir-faire, une réserve d’oeufs, desquels vont éclore les ancêtres des 2800 couples qui roucoulent actuellement à Nordhouse.

Le pigeon, un exemple de fidélité

S’il peut paraître frivole et séducteur, le pigeon est pourtant un exemple de fidélité et un modèle familial. Le couple est formé pour la vie et les tâches ménagères sont toujours équitablement partagées. Un modèle idéal, dont les humains ne peuvent que rêver.

A la naissance, es pigeons nourrissent leur progéniture avec du lait de jabot pendant les dix premiers jours , puis ils introduisent des graines progressivement, pour finir sur une alimentation 100% grains.

Au moment de quitter le nid familial, à 25 jours, l’avenir du pigeonneau est ensuite entre les mains de Théo. Deux destins, fort différents, sont alors possibles, le pigeonneau peut devenir reproducteur ou alors il est transformé en un met de choix dans une assiette de gourmet.

S’il est choisi pour être reproducteur, il va apprendre, à la nurserie, à boire et à manger en autonomie «Ce n’est pas toujours facile explique Théo «ils passent du stade d’assisté complet à l’autonomie totale. En 3 jours, ils peuvent perdre facilement 100 à 150 g !»

Les gros bébés, futurs reproducteurs, apprennent l’autonomie dans la nurserie

La maturité sexuelle étant atteinte à 6 mois, des cycles de 45 jours, qui se chevauchent, vont alors s’enchaîner pendant environ 6 ans, âge auquel la retraite leur est octroyée par le maître des lieux. Une fois le jeune couple formé, la femelle va pondre 2 œufs, que les deux parents vont couver à tour de rôle pendant 18 jours. L’organisation est quasi militaire, le mâle couve de 10h à 17h et la femelle de 17h à 10h «c’est un rythme immuable que pratiquent tous les pigeons de la terre »explique Theo. Puis après l’éclosion, les petits sont exclusivement nourris par les parents avec le lait de jabot. 12 jours après l’éclosion une nouvelle ponte à lieu.

Une volaille autonome

De part son rythme, son autonomie et son besoin d’espace, le pigeon ne se prête pas du tout à une production massive en batterie. Il reste donc un produit rare et de qualité, prisé par les restaurateurs et un public averti. La seule influence humaine sur l’élevage se fait au niveau de la régulation de la lumière. En effet en milieu naturel,en hiver le rythme ralenti «pour avoir des pigeons à Noël ou à la Saint Valentin, il faut de la lumière» explique Théo.

A Nordhouse, les pigeons mangent à volonté, du bon maïs produit sur place, «ils se régulent tout seul, on leur met le maïs à disposition, avec un complément de phosphore et de calcium» précise Théo «et comme ils n’ont pas de dent on ajoute des coquilles d’huîtres broyées d’origine bio, ce qui remplace leurs dents et leur permet broyer les grains de maïs.» Une production en parfaite harmonie avec le rythme et les besoins des pigeons, ce qui explique probablement que les pigeonneaux de Théo sont particulièrement appréciés par les plus grandes tables d’Alsace.

Les particuliers peuvent également se fournir à la ferme. Il y a cependant peu de demande de ce côté là « les gens ont un peu d’appréhension car ils ne connaissent pas. On sait pourtant cuire le poulet , il n’y a que le temps de cuisson qui change » constate Théo.

En conclusion, s’il est vrai que le pigeon a certes une assez mauvaise image qui lui colle….aux plumes, il mérite vraiment qu’on s’y intéresse, car il n’est pas du tout ce qu’il peut sembler être.

Pour les personnes intéressées : on trouve Théo Kieffer rue de Limersheim à Nordhouse (67150) et on peut le joindre au 06.07.76.28.73

La recette de Théo est simple, « au barbecue », il recommande de mariner le filet et la cuisse avec de la bonne huile d’olive, des herbes de Provence, épices puis le lendemain de faire griller la viande 8mn de chaque côté. Tandis qu’avec les carcasses on peut réaliser une sauce.

Si Théo prône la simplicité, il n’en aime pas moins jeter un oeil dans les cuisines des grands restaurants qu’il livre, pour voir comment sont préparés ses pigeonneaux. Deux chefs nous ont dévoilé une de leur recette…..

Avant de rejoindre sa cuisine, où
Olivier Nasti sublime avec beaucoup de talent les bons produits, beaucoup de gibier mais également les pigeonneaux de Théo, c’est au contact de la nature qu’il se ressource quotidiennement.

Le pigeonneau de nid de la ferme de Théo Kieffer, rôti, en salmis et jus de questches en fermentations de Olivier Nasti

Le pigeonneau

Ingrédients pour 8 personnes: – 4 pigeonneaux de calibre 500/600

Préparation: Étirer les pigeonneaux, prélever les cuisses (pour réaliser l’effilochée) ainsi que les ailerons (pour le jus). Les mettre «sur coffre». Veiller à garder les carcasses pour le jus, les coeurs et les foies pour la vinaigrette. Filmer les coffres puis mettre les pigeonneaux individuellement sous vide. Les cuire au four à vapeur à 64° pendant 27 minutes. (les faire tempérer au préalable 30 mn à température ambiante). Ouvrir les sacs, sécher les pigeonneaux puis les masquer de beurre pommade. Les colorer au chalumeau et finir la cuisson au four sec à 180° durant 5 mn. Lever les filets.

Le jus de pigeonneau

Ingrédients pour 8 personnes: – Carcasses et ailerons des 4 pigeonneaux – 1/2 oignon doux – 1/2 carotte – 1/2 tête d’ail rose – 1 brindille de thym – 1 feuille de laurier

Préparation: Laver les carcasses à l’eau froide pour enlever l’excédent de sang. Bien les sécher. Réaliser un jus de pigeonneau classique en faisant attention de ne pas trop caraméliser les carcasses pour éviter d’apporter une trop grande amertume. Amener directement le jus à la consistance d’une demi glace*

Les cuisses confites

Ingrédients pour 8 personnes:

  • cuisses des 4 pigeonneaux
  • 10g d’oignons
  • 10g de carottes
  • 2 gousses d’ail rose
  • 1 brindille de thym
  • 1 feuille de laurier
  • 20 cl de fond brun

Préparation:

Dans une petite cocotte, colorer les cuisses de pigeonneaux. Faire suer ensuite la garniture aromatique, préalablement émincée. Remettre les cuisses puis mouiller à hauteur avec du fond brun. Porter à ébullition et cuire à couvert, dans le four à 180° pendant 1h. Décanter.

Salmis de pigeon

Ingrédients pour 8 personnes:

  • 500g d’abats de pigeonneaux (coeur, foie) blanchis
  • 75g de foie gras
  • 35g de lard de colonata
  • 2 échalotes ciselées
  • cognac
  • jus de truffe
  • sel/poivre

Préparation: Faire suer les échalotes, le foie gras et le lard. Ajouter les abats, flamber avec le cognac, déglacer, saler, poivrer. Hacher l’ensemble au couteau, puis lier avec une glace jus de pigeon, miroir au vin rouge, sel, poivre, et un trait de beurre noisette.

Tagliatelles de céleri au vin jaune

Ingrédients pour 8 personnes:

– 1 boule de céleri, peler, couper des tagliatelles avec l’éplucheur

Les cuire avec 150g de fond blanc, 100g de vin, 1 citron , aromates, sel, poivre.

Émulsion vin jaune :

  • 2,5 cl de vin jaune
  • 5 cl de crème fraîche
  • 80 g de beurre
  • 1 trait d’huile de noix

Pickles de céleri :

On utilise les chutes en les découpant avec un emporte-pièce de 5 cm de diamètre. Les mariner dans la marinade, bouillante, puis réserver au frais

Marinade

  • 500 g de vinaigre blanchis
  • 100 g de sucre
  • 500 g de vin blanc
  • 1 cuillère à soupe de poivre noir en grains feuilles de laurier

Quetsches en fermentation:

Ingrédients:

  • 1 kg de quetsches
  • 20 g de sel maldon

Préparation:

Dénoyauter les quetsches et les mélanger avec le sel. Les disposer correctement alignées dans une poche et mettre sous vide. Placer les poches de quetsches en étuve à 28° pendant 7 jours en prenant soin d’extraire le maximum d’air chaque jour. Au bout des 7 jours récupérer le jus et le filtrer pour le servir. Récupérer la pulpe des quetsches et la mixer afin d’obtenir une purée lisse. Récupérer la peau des quetsches et les faire sécher à 90° dans le four pendant 2h, réduire en poudre.

Pommes soufflées

Éplucher les pommes de terre (Agria) Détailler à la mandoline, d’une épaisseur d’une pièce de 1 €, puis à l’emporte-pièce de 4 cm de diamètre. Éponger les pommes de terre. Avec un pinceau enduire les lamelles d’encre de seiche. Frire les pommes de terre dans un premier bain d’huile à 110/120°C. Puis lorsqu’elles commencent à souffler terminer la cuisson dans un bain d’huile à 180/190°C

Rassembler harmonieusement tous les éléments sur une assiette bien chaude

Olivier Nasti officie au restaurant « Le Chambard » , 9-13 Rue du Général de Gaulle à Kaysersberg Tel: 03.89.47.10.17 https://www.lechambard.fr/fr/

Petites explications *le demi-glace est la base d’un fond qui sert a confectionner des sauces. Faire revenir les carcasses, ajouter une garniture aromatique, du concentré de tomate, un bouquet garni et ajouter de l’eau.Porter à ébullition et laisser mijoter à petit feu 1h à 1h30. Écumer régulièrement. Filtrer le bouillon obtenu puis le faire réduire jusqu’à obtenir une sorte de gelée.

*Le miroir de vin rouge http://webtv.ac-versailles.fr/restauration/Miroir-de-vin-rouge

Chef étoilé alsacien, installé en Allemagne Stephan Bernhard est heureux dans sa cuisine quand il peut travailler de bons produits de saison mais également autour d’un bonne table ! Le pigeonneau est régulièrement à l’honneur sur sa carte

Les poitrines de pigeonneaux laquées au miel de lavande et piment d’Espelette, cuisses braisées de Stéphan Bernhard

Ingrédients pour 4 personnes :

  • 4 pigeonneaux de chez Théo Kieffer

pour le fond :   

  • 1/4 l de fond brun de veau
  • Carcasses de pigeon et foie
  • 1 échalote
  • 8 baies de genièvre
  • 1/4 l vin blanc sec

pour la garniture : 

  • fruits et légumes de saison à glacer
  • Miel de lavande
  • Piment d´Espelette
  •  Beurre

Préparation : Désosser ou faire désosser vos pigeonneaux Réserver les poitrines, elles seront préparées au dernier moment
Avec les carcasses et les foies, réaliser un fond pour braiser les cuisses

Réalisation du fond :
Rissoler les carcasses dans de l´huile, ajouter les foies, l’échalote ciselée, les baies de genièvre.
Déglacer au vin Blanc
Réduire de moitié et ajouter le fond de veau
Réduire encore de moitié et passer au tamis
Réserver

Braiser les cuisses:
Dans une petite cocotte, faire revenir les cuisses de pigeon jusqu’à obtenir une belle coloration puis déglacer avec le fond de pigeon
Cuire 30 à 40 min à feu doux. Assaisonner le fond de braisage avec un peu de sel et de poivre

Garder les cuisses au chaud dans la sauce Glacer les légumes de votre choix (carottes, navets, betteraves, radis, céleri…) et quelques fruits de saison (pêches, melon, quetsches, mirabelles, pommes, nectarines, cerises…) avec du beurre, un peu de miel et de l´eau

Rôtir les poitrines de pigeon: Assaisonner les poitrines avec du sel et du poivre et les faire revenir dans du beurre clarifié, 2 mn de chaque côté afin de leur donner une belle coloration. Retirer la graisse de la casserole et ajouter 1 à 2 cuillère à soupe de miel de lavande et un peu de piment d´Espelette

Laquer les poitrines et les réserver Déglacer la poêle avec la sauce et les cuisses, rectifier l’assaisonnement
Servir sur assiettes les poitrines, les légumes et fruits glacés et les cuisses avec la sauce

On peut retrouver Stephan et Sophie Bernhard au Restaurant Le Jardin de France  Lichtentaler Str. 13 à Baden-Baden (Allemagne) Téléphone +49 72213007860 https://lejardindefrance.de/baden-baden/fr/1/

Textes : Armelle Kuntz Photos : Armelle Kuntz & Jacques Saly

4 commentaires

  1. Nous avions une volière à la maison, et un charmant pigeonnier, fait maison par mon papa et de temps en temps, dans l’assiette, le fameux pigeon aux petits pois frais du jardin, un délice !
    Merci Armelle pour ce voyage à tire-d’ailes qui me permet d’évoquer un doux souvenir d’enfance.

  2. Je ne connaissais pas le fonctionnement des pigeons apparemment bien organisés et qui savent se partager les tâches…..eux! Je n’aime pas les pigeons car ils se sont, à plusieurs reprises, soulagés sur mon crâne néanmoins ton récit était très interessant.
    Bises

    • c’est probablement que tu devais être au mauvais endroit au mauvais moment, ce n’est pas la faute du pigeon 🙂
      merci beaucoup pour ton message
      grosses bises

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